Catalogue « Flux et Reflux », Médiathèque, Tournefeuille, 2002
Le mot de François
Page de garde
La face éclairée du monde
Un monde heureux : voilà où je pénètre, si je n'y plonge pas, quand se déploient devant moi les univers de Malbreil. Je vois plusieurs univers, puisque l'homme aime à voyager, mais je vois aussi un fil conducteur, qui nait de l'œil du peintre et traverse ses toiles les unes les autres. Ce fil conducteur est une philosophie de vie, à l'évidence, qui se nourrit d'une curiosité à priori insatiable pour ce qui nous entoure (et de préférence aux antipodes, pour en revenir à ce besoin de voyager), d'une part ; et d'une profonde tendresse, une amitié spontanée pour le genre humain d'autre part. A travers ces visages comme pacifiés et ces paysages tout de sérénité (même Avant le cyclone), ce n'est pas une vision angélique du monde que nous propose le peintre, mais sa face éclairée, celle de l'homme délivré pour un temps de ses passions - c'est à dire de ses démons. Certes, nous l'avons vu assez souvent grinçant et dévasté, le visage de l'être pensant, le nôtre, reproduit en tant et tant d'avatars douloureux dans le passé comme dans le contemporain, et c'est pourquoi il nous plaît et il nous est nécessaire de contempler celui que nous propose Malbreil, cette image que, se fait de l'humanité. Un choix moral avant d'être esthétique, oserais-je.
J'ai lu dans un catalogue ancien qu'il y avait comme une absence dans les tableaux de Malbreil. "Quelqu'un qui fut là qui n'y est plus". C'est vrai, mais c'est autre chose. J'ai, pour moi, cette impression d'entrer dans une histoire en cours dont le personnage principal vient en effet de quitter la scène du tableau. Il vient de se passer quelque chose, ou il est sur le point d'arriver ce quelque chose. Et le personnage disparu ne s'est absenté que pour nous céder sa place. C'est une habile manière de faire, cette capture du regard de l'autre, le "spectateur". Il y a cette place qui nous est faite quelque part dans le dessin et cette histoire que son créateur nous invite à prendre à notre compte. Sans doute faut-il suspecter l'artiste, ici, de manipulation, et du plaisir qu'il trouve à cet exercice.
Le thème du présent catalogue et de l'exposition qu'il illustre est donc celui de l'eau, qu'elle soit figée dans les glaces de l'Antarctique ou vive dans le courant du Yang Tsé. Plutôt que de thème, d'ailleurs, on parlerait plus justement de prétexte. L'eau, liquide matriciel. Malbreil travaille autour de cet élément comme d'un décor ou d'une scénographie propre à accueillir l'expression la plus sensuelle de sa créativité, et Dien sait si l'artiste , en la matière (la sensualité), n'en est pas avare. Autour des scènes ou des histoires élues par le peintre, s'expriment soit la paix - des glaces - , soit le mystère - des pèches spécialisées - , soit la volupté des Marchandes du fleuve. Où l'on en revient à ces "jours heureux", ce meilleur des mondes révélé comme une sculpture émergeant e son drap. Mais ce n'est pas un fantasme, il existe bel et bien quelque part, puisque Malbreil l'a vu. Et qu'il choisit et persiste, dans ce mélange de candeur et de lucidité qui est sa marque, à nous le montrer.
Marc Trillard - 2001
Terre Adélie Îles
Huile sur Toile
97 x 130 cm (p1)
2000
Antarctique. Vue aérienne
Huile sur Toile
190 x 120 cm (p2)
2000
Kerguelen. Eléphants de mer
Huile sur Toile
114 x 146 cm (p3)
2000
Antarctique. Terre Adélie
Huile sur Toile
120x 190 cm (p4)
2000
Avant la débâcle
Aquarelle
62x 50 cm (p5)
1974
Yang Tsé. Muraille et jonque
Huile sur Toile
97 x 130 cm (p6)
1988
Yang Tsé. Rives cultivées
Huile sur Toile
89 x 116 cm (p7)
1988
Yang Tsé avec péniche
Aquarelle
45 x 60 cm (p8)
1992
La pêche au flambeau
Huile sur Toile
97 x 130 cm (p9)
1991
Retour de pêche
Huile sur Toile
120 x 120 cm (p10)
1993
Pêche de nuit aux cormorans
Huile sur Toile
100 x 107 cm (p11)
1994
Ifaty. L'arrivée des pêcheurs
Huile sur Toile
38 x 46 cm (p12)
2001
La préparation du poisson
Céramique
22.5 x 15 cm (p13)
1996
Le pêcheur au harpon
Céramique
22 x 32.5 cm (p14)
1996
La femme au bambou d'eau
Céramique
22.5 x 15.5 cm (p15)
1996
Elle rêve
Huile sur Papier
Diamètre 41 cm (p16)
1996
Les marchandes du fleuve
Aquarelle
90 x 53 cm (p17)
1990
Africaine au puits
Huile sur Papier
Diamètre 41 cm (p18)
1996
Madagascar. Sur les berges de la Tsiribihina
Huile sur Toile
65 x 81 cm (p19)
2001
La bouée noire
Huile sur Papier
42 x 56 cm (p20)
1991
Jours heureux. Le canot jaune
Huile sur Papier
37 x 53.5 cm (p21)
1986
Antilles. Cargo sur ciel nuageux
Huile sur Toile
89 x 146 cm (p22)
1987
Martinique. Le portail rouge
Huile sur Toile
120 x 91 cm (p23)
1989
Paysage tropical avec cabanes en bord de mer
Huile sur Toile
97 x 130 cm (p24)
1988
Caraïbes. Maison sur pilotis
Huile sur Toile
97 x 130 cm(p25)
1989
Madagascar. Le camion à gué
Huile sur Toile
81 x 100 cm (p26)
2001
Madagascar. L'après cyclone avec jeep
Huile sur Papier
42 x 56 cm (p27)
1995
Madagascar. Pirogue, Epineux et dunes
Huile sur Toile
38 x 55 cm (p28)
2001
Le radeau sur le Manambolo
Huile sur Toile
60 x 73 cm (p29)
2001
Morondove. La voile au vent
Huile sur Toile
89 x 116 cm (p30)
2001
Morondave. Pirogues à balanciers
Huile sur Toile
89 x 116 cm (p31)
2001
Madagascar. Mongrove
Huile sur Toile
60 x 73 cm (p32)
2001
La digue. homme au bidon rouge
Huile sur Toile
89 x 116 cm (p33)
2001
Belo sur mer. Pirogue à voile
Huile sur Toile
60 x 73 cm (p34)
2001
Canal du Mozambique. La mise à l'eau
Huile sur Toile
60 x 73 cm p35)
2001
Madagascar. Lavandières à la rivière
Huile sur Toile
61 x 81 cm (p36)
2001
Madagascar. Boutre
Huile sur Toile
100 x 81 cm (p37)
2001
"Car la "nature" ici comme partout se montre telle qu'elle est, grandiose dans sa fragilité et son indifférence, qui nous révoltent, quelle qu'en soit la noblesse "
Friedrich Nietzsche. Par delà le bien et le mal
Cette exposition présente une majorité d'œuvres récentes, mais il me plait que Malbreil y mêle, sans souci chronologique, quelques toiles plus anciennes. Quel meilleur moyen de nous révéler la continuité de son travail ?
Variété de temps, profusion de lieux : Yang Tsé, La Réunion, Caraïbes, Afrique, Antarctique, Madagascar .... Comment la multiplicité des sujets et des espaces peut-elle donner l'impression d'unité d'inspiration ?
Comment les techniques perceptibles - épaississement fréquent de la pâte, apparition de couleurs inexplorées - ne créent-ils pas un sentiment de rupture mais de modulation ?
De toute évidence parce que Malbreil possède une vision du monde, consciente ou non, qui se lit à travers les changements e temps, d'espace et de technique.
C'est tout d'abord l'appétit du peintre qui éclate dans cette boulimie de lieux et de scènes dans le monde qui es. Sa curiosité est insatiable : il se nourrit de voyages, d'expériences, de découvertes. Là où d'autres n'échapperaient à l'éparpillement documentaire et exotique, Malbreil impose un registre plus grave, grâce à un questionnement sur la présence de l'homme qui imprégnait déjà ses premières œuvres. Ce fou de l'ailleurs a une manière paradoxale de nous présenter les vecteurs symboliques du voyage : cargos, jonques, camions, jeeps, avions, sont presque toujours encalminés dans quelque Sargasse ; ils sont immobiles, désertés, infimes dans des paysages grandioses et démesurés. La présence du voyageur est précaire comme l'était dans d'autres toiles l'insertion de campements éphémères, de cases fragiles, de stations-services de bout du monde, de villas menacées par d'énormes cyclones, d'immeubles dévorés par la végétation, autant de métonymies de la fragilité de l'emprise humaine.
Cette présence tend vers zéro dans les toiles antarctiques où l'on distingue à peine certains cargo des flottaisons qui les entourent, et le degré zéro est atteint lorsque seul le point de vue sur plombant d'immenses banquises suggère un survol, peut-être à la recherche d'explorateurs égarés dans l'immensité humaine.
Même dans les décors tropicaux classiquement édéniques la célébration de paysages, des végétations, de la lumière, des corps des pêcheurs et des lavandières se teinte de mélancolie devant un âge d'or fugitif, menacé par le flux de la modernité. Dans les dernières toiles de Madagascar, Malbreil exacerbe comme jamais la lumonisité des eaux et du ciel sur lesquels se profilent des voiles, des toiles, superbes et rapiécées, instants fragiles et miraculeux, échos de l'œuvre la plus ancienne (1986) de l'exposition intitulé déjà "Jours heureux".
Aux antipodes de l'hédonisme exotique, la beauté de ces toiles ne nous berce pas de faciles illusions, l'homme, dans toute sa prétention conquérante, ne sera jamais le maître et possesseur d'une nature dont Malbreil nous présente encore et toujours l'irréductible étrangeté.