La série « L’atelier » – Numéro 01 – Les Terrasses
Terrasses
Les terrasses apparaissent souvent dans mon œuvre. Ces espaces mi-clos m'attirent ; j'y trouve un poste d'observation propice à la réflexion et à l'introspection. Assis à l'ombre d'une terrasse ou d'une tonnelle, ce sont presque toujours des atmosphères d'été qui me reviennent en mémoire.
Les premières terrasses voient le jour avec les journaux de voyage. Avec le recul du temps, elles m'apparaissent comme des voyages dans le voyage, un sentiment déjà présent lors de leur réalisation. Les terrasses égrènent la géographie des lieux où j'ai pris le temps de m'arrêter et dessiner. J'aime les îles tropicales et les journaux de voyage suivent l'itinéraire erratique de mes déplacements et lieux de vie : Martinique, Canaries, La Réunion, Madagascar ...
La variété infinie des Terrasses, tonnelles et pergolas m'enchante.
Celles construites en bord de mer, en bois, ont souvent la patine des embruns et du vent marin qui les ont malmenées. Le sable et le sel ont altéré les peintures, le bois mis à nu a blanchi et décline une large palette de gris. J'ai une prédilection pour le gris, pour les gris devrais-je dire, des gris chauds aux gris froids en passant par les gris bleutés ou au contraire tirant vers le brun.
Celles en béton m'ont également inspiré. Posées sur le sable, leurs pans de mur plus ou moins rangés par le sel, elles présentent une variété d'accidents et d'altérations qui captivent mon attention. Je pense souvent à l'intérêt de Léonard de Vinci pour les taches d'humidité.
J'ai toujours aimé la géométrie de ces architectures ouvertes. Dans le cadre d'une porte, dans l'espace structuré par les verticales et les horizontales d'une fenêtre. J'ai le sentiment vertigineux d'un espace tableau.
Certaines terrasses ont particulièrement retenu mon attention, car j'y ai séjourné, comme à la Réunion, dans une maison au milieu des champs de canne à Petite île. J'ai aussi aimé passer de longues heures dans des lieux qui me sont familiers sur la côte ouest de Madagascar à Anakao, Sarodrano et Mahajanga. Chez Émile, à l'auberge du Pêcheur ou Chez Nono, le monde se fait complice de mon attention fluide. Le béton, le bois, les toits en tôle, le contour d'une pirogue, les crevasses d'un mur, l'ampleur du ciel, la couleur de la mer et des lagons, les creux d'ombre du sable, tout devient objet de contemplation active dans le maniement des crayons et de l'aquarelle. J'acquiesce en silence à à l'indifférente beauté des rivages marins.
La plupart du temps, mes terrasses sont vides. J'y reviendrai. Il en est quelques-unes habitées par des femmes. Le sujet est alors triple : le modèle, la terrasse et le monde sur lequel elle ouvre. Ainsi dans une huile sur toile en 2020 intitulée "Organdi noir", une jeune malgache de dos regarde le paysage marin. Le spectateur se fait voyeur, il regarde à la fois l(élégante jeune femme, la transparence des étoffes, le paysage marin et la stricte géométrie du béton, les accidents de surface et les courbes des palmes en arrière-plan.
La vue peut être inversée. on ne regarde plus vers l'extérieur depuis l'espace ouvert-fermé de la terrasse, mais vers l'intérieur de la pièce sur laquelle elle donne par l'ouverture d'une porte. Dans la toile "Forte chaleur à Katsepy" de 2018 le regard passe de la véranda à la chambre où une jeune femme assise sur un lit parait absorbée par l'écran de son smartphone. La nuit se fait complice de cette scène intime.
D'autres terrasses encore invitent à s'asseoir, se poser, rester immobile. Un fauteuil confortable, une table basse et une vue sur mur barrée par les horizontales et les diagonales d'une rembarde, c'est tout l'espace nécessaire à l'évasion contemplative comme dans "Terrasse avec vue sur mer" de 2020.
Là c'est une table couverte d'un lourd drap jaune sur une varangue avec à nouveau une vue sur mer dépouillée à l'extrême comme dans "Saint Augustin. La terrasse" de 2019. En la peignant me revenaient les somptueuses étoffes et tapis de Vermeer et l'espace lumineux de toiles flamandes.
La rigueur stricte des rembardes, piliers et est d'autant plus frappante que le passage déroule les courbes d'une végétation tropicale, les arrondis d'un cumulus, les formes capricieuses d'une vague. Dans "Terrasse dans le sud malgache" de 2013 les lignes droites sont comme assouplies par le paysage de sable et la végétation rase de cette région aride. Un arbre mort dresse son tronc d'ossuaire, une note mélancolique dans un espace dévoré de lumière.
Dans les toiles et aquarelles peintes lors des dix années passées à la Réunion, je retrouve cette opposition féconde entre culture et nature. La géométrie appartient à l'ordre humain et s'oppose aux paysages de mornes, de ciel et de mer. Une poésie nait de cette confrontation. La peinture joue alors le rôle d'une "camera obscura" et reconcilie la pénombre des varangues et l'éclat du . FRM
Organdi noir
Huile sur Toile
92 x 60 cm
2020
(Collection Privée)
L'espace l'appelle, la maison la retient. Elle consent at vent qui gonfle ses voiles et frémit dans ses cheveux. Elle s'amarre à l'immobilisme du béton, prête à le quitter. S'accordant un instant ludique et léger, grâce à la solidité sans faille du pilier, le regard déjà empli de l'immensité du ciel et de la mer, elle choisira. Entre l'extérieur enivrant et l'intérieur rassurant; son corps ne sera plus l'éphémère frontière. Nous la regarderons bondir vers l'ailleurs, se mêler à l'air et à l'eau, en riant. A notre tour; nous attacherons fermement au béton l'espoir qu'elle revienne. Que la terrasse s'emplisse de son souffle, que l'ombre abrite son retour éclaboussé de soleil. E.B.
Forte chaleur à Katespy
Huile sur Toile
65 x 21 cm
2018
Sels des cris d'oiseaux et le roulement d'une vague ont acclamé l'ouverture du rideau. Au fond de la scène, une jeune femme apparaissait, concentrée sur un objet. Toutes les hypothèses ont alors explosé : Un autre personnage viendrait la déranger ou l'embrasser. Ou bien, elle quitterait brusquement le décor, se précipitant dehors. Ou encore un enfant tituberait jusqu'à elle qui lui ouvrirait ses bras. A moins qu'un coup de vent ne rabatte d'un coup les persiennes, l'enfermant dans un îlot de fraîcheur ? Seuls les oiseaux et les vagues percevaient alors la musique qui la ferait danser, là-bas, au bout du couloir. E.B.
Terrasse avec vue sur la mer
Huile sur Toile
73 x 100 cm
2020
Les vides ont un pouvoir : ils attirent le regard qui se glisse dans les portions géométriques. Ils invitent à passer à travers, à toucher l'insaisissable. En libérant la matière, ils creusent des passages pour nos rêves, nous laissant deviner d'autres mondes. Nos grand-mères le savaient bien, elles qui bordaient des "jours" sur leurs draps et chemises. Elles y créaient de minuscules carrés vides, encadrés de fils torsadés. Ces broderies seraient leurs parures, joueraient sur leur peau sans les mettre à nu ... Et lorsque le vide s'installe confortablement sur un fauteuil, on se demande de quel inconnu il usurpe la place, ou bien s'il attend quelque présence fatiguée. On habite alors l'absence en toute liberté. E.B.